Et on continue!

Publié le par Laurence Tissot

Je continue mes anecdotes, concernant finalement tant mon quotidien à Dubaï que des considérations générales non moins dignes d’intérêt… Désolée de ne pas écrire tous les jours, j’attends d’avoir un peu de croustillant à vous donner, cher public assoiffé de merveilles moyenorientales…
 
1/
Une spéciale dédicace à Asif, dans cet article, qui s’est mis en tête de jouer au badminton avec moi tout le temps. Il a même sorti la tenue appropriée, vous noterez l’effort vestimentaire… DSC00592-copie-1.JPG

La mode pakistanaise, comme la mode indienne, philippinaise, ou de tout le Moyen-orient en général, est à mourir de rire… En plus d’être old-fashion à mort, c’est moche et tape-à-l’œil (aïe, j’ai bien peur de réagir suivant nos standards occidentaux…. Mais ça n’en reste pas moins rigolo comme tout, avec un petit blouson de cuir par-dessus la tunique, parce que c’est la classe…)
 
J’en reviens à Asif. Hier, jeudi 10 janvier, jour férié, car nous célébrions le nouvel an islamique. Ceci dit en passant, je pensais que le France était l’un des pays qui comptait le plus de jour fériés, mais ici, c’est jackpot à touts les coups ! 22 jours de vacances pour Noël, 3 jours fériés pour le jour national avant cela (3, c’est mieux qu’un !), et rebelote, seulement 2 jours après la rentrée ! Les filles sont allées 6 fois à l’école depuis que je suis arrivée à Dubaï… Je commence à vénérer Charlemagne, et je récite des cantiques à Jules Ferry tous les soirs avant de me coucher…
Je ne pouvais donc pas passer à côté de ce grand jour, et nous avons décidé d’aller Asif, un ami pakistanais à lui, sa femme et moi au Global Village.
 
2 Le Global Village :
L’invention du siècle… Comment vous le décrire ? Il s’agit d’une expo/foire/pavillon des pays qui est installé sur des hectares entiers, et où tous les Musulmans se regroupent pour le Nouvel An. On y trouve des manèges type fête foraine, tous les restos possibles (dont un stand de fameuses crêpes françaises que je dois tester), des ponts, et surtout, des pavillons représentant chaque pays (ou presque), comme par exemple le Pakistan, la Jordanie, le Sénégal, Qatar, Oman, UAE, Thaïlande, Chine, Népal, etc. On notera que l’Europe est regroupée dans un même pavillon (que je n’ai pas eu le temps de voir, je vous en reparlerai), et que l’Amérique (du Sud comme du Nord) est absente au bataillon. Pas anodin… A l’intérieur de ces pavillons, l’on est censés trouver les produits régionaux, les autochtones, les vêtements typiques, etc. et c’est là que ça devient marrant, car tout est fait à la sauce Emirati ! Les Chinois sont un peu moins bridés que prévu, je n’ai pas vu de grande différence entre le Pakistan et l’Inde, et la Jordanie a de faux airs de Dubaï ! Ah, ce que je rigole ici… La Sénégal et les quelques pays d’Afrique noire que j’ai pu voir échappent à cette uniformisation, mais j’attends de voir l’Europe ! C’est amusant de se « promener » au milieu de tout cela, une foule odorante, couleur dominante : noire, sexe dominant : masculin, tranche d’âge : 20 à 40 ans, religion : musulmane, parfum : capiteux, qui prend à la gorge (les femmes portent toutes le même parfum assommant, suintant, que j’aimerais vous décrire tellement c’est couleur locale, mais que mon pauvre vocabulaire ne me permet pas de détailler malheureusement… Pour vous donner une idée, Asif en a eu sur sa main, il s’est essuyé sur mon châle, j’hésite à le jeter…) Les hommes sortent leur femme et enfants (1 à 2 jours par semaine, le Global Village, comme tous les jours, est réservé aux femmes, et un autre jour, aux familles, c’est-à-dire que les hommes ne peuvent rentrer que s’ils sont mariés et chefs de famille…) Je pense pouvoir dire que je n’ai pas croisé une femme blanche hier. Ceci fait désormais partie de mon quotidien, puisque dès que j’en ai l’occasion, je traîne dans les vieux souks, les recoins les moins touristiques, complètement oubliés de tous ces étrangers gavés de thunes qui se prennent pour les rois du monde. Ici, j’apprends à être non seulement regardée, mais observée, scrutée, suivie, détaillée. Je fais tache dans le décor.
 
3/
Mais bizarrement (et j’y consacre un paragraphe entier), je ne sens aucun malaise, aucun danger. Dubaï est l’une des villes les plus sûres au monde, et je peux vraiment en témoigner ! Je ne me suis jamais autant sentie en sécurité qu’ici, où le taux de criminalité et de délinquance flirte avec les 0%... Quelles raisons donner à cette quiétude ? J’en vois quelques-unes évidentes. D’abord parce que la loi musulmane punit très très sévèrement toute forme de délinquance : un vol, on te coupe la main, un viol, on te tue, un meurtre, bah j’en sais rien, mais j’imagine… Ici, personne ne conçoit de prendre un bien qui n’est pas à soi (matériel ou pas). Et d’une. De deux, la plupart des étrangers qui sont ici sont riches, et l’autre partie de la population (immigrée) est une main-d’œuvre docile, ou sinon reconnaissante d’être ici, et de pouvoir économiser de quoi alimenter leur famille dans leurs pays respectifs. Le respect est une forme d’être, ici. Ce n’est pas facile à expliquer, mais je ne sens ni violence, ni désir, aussi parce que la société de consommation et le manque qu’elle suscite n’existe pas pour eux. Ce sont d’honnêtes travailleurs, qui ne demandent rien à personne, et surtout pas de visas d’expulsions. Vous remarquerez que je n’ai guère fait allusion aux autochtones. Tout simplement parce qu’ils représentent une infime partie de la population (je dirais entre 10 et 20%). D’ailleurs, l’une des premières questions que l’on se pose quand l’on rencontre quelqu’un ici, est « Where are you come from ? ». C’est une question inévitable…
 
4/
Pfff, je pars dans tous les sens, mais tout est si intéressant ! J’ai tant de choses à partager, j’adore ça !
L’ami d’Asif, qui ne parle pas un mot d’anglais, est chauffeur de bus, il travaille 6 jours/7, seulement 2h/jour, a un logement mis à sa disposition (dont je dois absolument vous parler), qu’il ne partage qu’avec un seul autre homme, et gagne 2700 dirhams (environ 500 euros, une vraie fortune ici !). Il se garde 700 dirhams et en envoie 2000 à sa famille (femme, mère, 2 petites filles qu’il n’a pas vues depuis 18 mois). Voilà. Son logement : des blocs de béton avec, ô grand luxe, un ventilo dans chaque chambre et un WC/douche. Réservés aux hommes… J’y suis allée. Asif m’a expliqué que la propre femme de son autre ami ne venait pas ici, car c’était interdit aux femmes, et que pour elle, franchir cette limite était impensable. Alors je lui demande pourquoi il veut bien que je vienne. Il me dit qu’il veut bien, parce que je suis open-minded, mais qu’ils doivent me cacher, sans quoi tous les autres hommes dans les autres chambres vont croire que je suis une prostituée, et vont vouloir me voir, me toucher, et finiront par se battre car on ne les aura pas invités à notre sex party ! Ce que j’aime ici, c’est ça, je tombe des nues tous les 4 matins… Le « coloc » de Shirin, l’ami d’Asif, met 20 minutes à me regarder dans les yeux. Je suis une extra-terrestre pour lui, une femme occidentale, et en plus, dit-il à Asif, il est très surpris que je porte 4 vêtements (jeans, tee-shirt, gilet, ceinture), mais pas d’or !!! J’essaie de me justifier, mais en vain, c’est inconcevable pour eux. C’est comme si je décidais de ne porter de cheveux… Une chose très intéressante, à ce propos : pour Asif et ses amis, le monde se divise en 2 catégories : l’Orient, et ceux qu’ils appellent les English people. Je suis une English people. J’ai beau lui expliquer que French, English, American, Spanish, c’est quand même un tout petit peu différent, je comprends que pour lui, nous sommes tous des riches blancs raisonnant différemment. J’abandonne. Je suis désormais une English People, même si je me bats pour qu’il arrête de m’appeler Madame (vieux réflexe de soumission qui lui échappe encore parfois avec moi…)
 
5/ Quand je vous disais qu’Asif parlait l’anglais comme une vache tibétaine, j’avais presque tord. Plus je côtoie de monde ici, plus je réalise à quel point il parle bien l’anglais. Enfin, il le parle… Après, tu comprends ou pas… En guise d’exemple, je vous joins 2 SMS qu’il m’a envoyés : Tae is Raid (comprenez ‘Tea is ready’), et I hlp foor mast-repiece (comprenez ‘I need help for master-piece, traduction : J’ai besoin d’aide pour master-piece ??? Je cherche encore ce qu’il voulait dire…) Comme dirait Coluche, je me marre…
Et je continue : Asif ne comprend pas pourquoi mon prénom ne veut rien dire en français. Je lui dis que c’est un nom, et que nous n’avons pas de significations précises (ou que nous ne les connaissons pas), mais ça dépasse son entendement. Alors tous les soirs, il me dit Asif means strong and sorry, what Laurence means ? Je lui réponds ‘enculé’, en pakistanais, et on est quittes.
 
6/ L’Islam et moi :
 Les UAE font un réel effort pour expliquer et vulgariser leur religion. Cela fait partie de leur processus d’extension. Le Scheik, très conscient de l’enjeu social et humain qui doit accompagné tout développement (éclair) de son royaume, a l’intelligence d’expliquer et de rendre plus heureux cette religion bien mise à mal dans nos pays occidentaux. Au Global Village, donc, un pavillon entier est réservé à expliquer ce qu’est l’Islam. J’en suis repartie avec le Coran en français, une thèse intitulée « L’Islam vu par des scientifiques musulmans », et un super ouvrage en français pour la compréhension de l’Islam, et tout ça, gratos ! Remarquez, je dois bien être la seule à demander cela, car ce Global Village est bien trop local et sale pour la plupart des Occidentaux résidant ici…
Et je vais de découverte en découverte lors de cette soirée : on décide de dîner dans un resto pakistanais (enfin, ça s’impose, dans le mesure où Asif n’est absolument pas du tout curieux de mon monde, et quand je dis pas du tout, c’est pas du tout, ni musique, ni nourriture, ni mœurs, ni rien…), je pose mon sac de livres par terre. Je le vois bondir, prendre mon sac, et le poser sur la terre. Mais, euh ! Je le reprends et le mets par terre, parce que je veux débarrasser la table. Il me dit que c’est interdit dans la religion musulmane… De quoi ? bah, si j’ai bien compris, de mettre quelque chose par terre… Rebelote dans la voiture, je pose mon sac à mains à mes pieds, il me demande (en faisant un visible effort de prendre sur soi), de prendre mon sac sur mes genoux. J’en suis désolée. C’est tellement inconcevable pour nous, enfin pour moi ! A l’avenir, donc, éviter de poser quelque chose au sol. Je n’arrive pas à savoir ce qui est à l’origine de cette superstition religieuse (redondance).Si quelqu’un le sait, je suis preneuse !
 
7/ Nous avons ensuite une grande discussion sur l’homosexualité, car je suis surprise de voir des hommes se tenir par la main, s’enlacer, se promener en se tenant par les épaules. Ces marques d’affection ne signifient rien de spécial pour eux (ce ne sont donc pas nos marques d’affection, de tendresse, d’amour…) Et pour cause ! Au Pakistan (et Asif pense qu’ici, c’est la même chose), l’homosexualité masculine est passible de 14 ans de prison. Au mieux. Au mieux… Quant à l’homosexualité féminine, elle est moins sévèrement réprimandée, mais parce qu’il n’y a pas eu de jurisprudence, Asif ne sait me renseigner… La femme ici est tellement soumise, modelée, qu’il ne lui viendrait même pas à l’esprit ce genre de choses ! Je lui explique qu’en France, pour une majeure partie de la population, cela ne pose plus de problème, que c’est entré dans les mœurs, et qu’on même se marier ! Je dépasse tout ce qu’il est possible pour lui d’imaginer. J’ai de la chance, il est ouvert, il se contente de tomber des nues…
8/
Voilà, j’ai mille anecdotes comme ça. Une dernière chose, aussi incroyable que drôle. J’ai pu me mesurer au deuxième homme le plus grand du monde (le premier, pakistanais lui aussi, est en tournée mondiale). Sensation vertigineuse, ces mains font la taille de ma tête, il doit chausser du 72, et à côté de lui, je me retrouve aussi haute qu’une petite fille ! Le côté foire et monstre mis de côté (j’arrive difficilement à faire abstraction de cela…), je décide de faire une photo pour vous… Même si on voit un peu, il faut vraiment vous dire que c’est encore plus impressionnant pour de vrai !
 
 
9/ Ah, et puis, parce qu’il n’y a pas de raisons, ici, il fait froid, on tombe à 13 degrés la nuit, et on dépasse guère les 23 degrés en journée. J’ai même l’impression qu’il va pleuvoir ! Aujourd’hui, ça caille…
 
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Y
<br /> Lau, à propos de ton cinquième point.<br /> Laurence vient de Laurus et signifie "laurier" en latin.<br /> Seulement, est-ce le laurier glorieux ou poétique ?<br /> Pour moi, tu incarnes les deux :-)<br /> Yann<br /> <br /> <br />
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J
marrant anecdote des livres sacrés... l'islam est vraiment une religion du livre et je rajouterai aux remarques précédentes que quand tu tiens ton coran, tu dois le tenir au dessus de ta ceinture pour l'éloigner des parties impures... que l'écrit`a un tel respect ici que les illétrés collectionnent chaques bouts de papiers manuscrits qui trainent pour les enterrer pieusement au lieu de les bruler ou de les jeter...<br /> <br /> Que les pakistanais ne soient pas des gens curieux est assez étonnant car en inde, les gens sont trés curieux de l'occident même les musulmans que j'avais pu rencontrer... Cela me confirme dans mon préjugé positif sur "qui doit dominer le monde en 2050?" : les indiens...<br /> <br /> continue donc tes anecdotes rigolotes oh toi succédrice de Nerval et lamartine dans ton voyage en orient!
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I
ahaah, enfin des nouveaux détails sur la vie à Dubai. Si je lis bien ton billet sur l'islam, je pense avoir compris pourquoi tu ne pouvais pas poser ton sac par terre: il contenait le Coran, c'est donc sacrilège de poser sur le sol(impur) un texte sacré (d'après une de mes élèves pakistanaise, si tu es dans un jour d'impureté -comprendre :si tu as tes ragnagnas...-tu ferais mieux de ne pas toucher ledit bouquin non plus...)
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P
Petite correction à faire dans ton texte: <br /> "Je le vois bondir, prendre mon sac, et le poser sur la terre." Il doit s'agir de la table...<br /> Raconte à Asif que ton père à rencontré plusieurs fois le Grand-Mufti de Oufa, un des 2 qui coiffent tous les musulmans de l'ex-URSS.<br /> Homme très courtois, qui après quelques heures de discussion, m'a aimablement invité à me convertir à l'islam àfin que, comme lui, je puisse prendre 4 femmes. J'en rigole encore...<br /> Continue ta grande promenade toustique humano-sociale, il y a tellement à voir...<br /> On t'embrasse<br /> Your pap and Cat
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D
J'adore lire toutes les petites anecdotes croustillantes de ton périple dubaiote. Et crois-moi je les fais tourner allègrement!<br /> Ayaynt pourtant une idée de la culture musulmane, j e t'avoue que bcp de choses me surprennent encore. C'est génial de pouvoir découvrir tout cela. Notre compréhension du monde ne peut que s'en trouver affinée et c'est une réelle chance que tu as de pouvoir vivre cette expérience. Continue de nous en faire bénéficier, j'avoue que je t'envie, ça me rappelle à moindre céchelle mes années de cité U où je cotoyais des grecques( oui c'était 6 filles), des anglais, des espagnols, des brésiliens, des gabonnais et des malgaches.<br /> Enfin je conclurais par le sens que je connais de masterpiece: chef d'oeuvre mais je ne vois pas le rapport avec le contexte, à moins que le tableau qui masquait le coffre-fort ne se soit décroché à cause d'un trop plein dans le dit coffre-fort!<br /> J'espère que tu avais pris une veste polaire, vues les températures!
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